Toutes les semaines, Leiloona du blog Bricabook nous propose un petit atelier d’écriture basé sur le principe suivant : une photo à partir de laquelle on doit inventer une histoire.
– Oh mon dieu. L’eau est vert bouteille.
– Non, vert émeraude. Comme mes yeux.
– Tes yeux sont vert menthe. Et cette eau est vert bouteille.
– Ecoutez-moi l’experte en nuances de vert !
A partir de ce moment-là, l’étrange couleur choisie par leur piscine municipale pour son grand bassin était devenue une plaisanterie rituelle entre les deux jeunes femmes. Juliette demandait de quelle couleur est l’eau aujourd’hui ? Vert petit pois, vert crocodile, vert perroquet, vert trèfle irlandais ? et Mira répondait elle est vert bouteille de Perrier, il ne manque plus que les bulles.
Leur séance de natation hebdomadaire était le seul moment où les deux amies pouvaient se rencontrer en tête-à-tête ; le reste du temps, elles se voyaient toujours en compagnie de tierces personnes : leurs conjoints, la fille de Mira, la sœur de Juliette, d’autres copines.
Tout en alignant les longueurs côte à côte, elles parlaient de tout et de n’importe quoi, sauf de la seule chose dont elles auraient vraiment aimé parler. Cette chose qui planait au-dessus d’elles, flottait entre elles, palpitait en elles depuis des années ; probablement même depuis le début de leur amitié, qui avait démarré à l’instant où Juliette s’était assise à côté de Mira lors de leur premier jour de lycée. Cette chose qu’elles n’osaient pas s’avouer l’une à l’autre et qu’elles osaient à peine s’avouer à elles-mêmes.
Régulièrement, avant de partir rejoindre l’autre à la piscine, l’une d’entre elles se disait allez, en sortant je l’emmène boire un verre et je lui dis ce que je ressens et invariablement elle se dégonflait dans les vestiaires en se rhabillant. La semaine prochaine, finissait-elle par conclure. Je lui parlerai la semaine prochaine.
Aucune des deux jeunes femmes n’aurait pu imaginer qu’une partie du toit de la piscine s’effondrerait brusquement sur elles alors qu’elles étaient en train de nager. Que l’une parviendrait à sortir du bassin mais que l’autre y resterait coincée. Que la piscine fermerait définitivement et que le bâtiment serait laissé à l’abandon.
Aucune d’entre elles n’aurait pu imaginer que tandis que Juliette reposerait au bout d’un petit cimetière ombragé, Mira viendrait chaque semaine s’asseoir au bord du grand bassin désaffecté pour y boire une bouteille de Perrier.
oh c’est triiiiiiiiiiiiiiiste 🙁 🙁 superbe mais triste 🙁 🙁
C’est le passage à l’heure d’hiver, ça me rend toujours morose 😛
Merci Mylène 🙂
Ohhh non, quelle fin tragique ! Je voulais vraiment que leur amour soit dévoilé avant cette catastrophe. Comme quoi, il ne faut jamais attendre pour dire « je t’aime » à quelqu’un !
En effet, on ne sait jamais ce qui peut arriver 🙂
Merci Virginie !
waouh une fin saisissante ! Une fort belle amitié aussi et j’aime beaucoup leur délire sur les nuances de vert.
Merci Sabine 🙂
Le délire sur le vert provient du fait que le grand bassin de ma propre piscine municipale est vert bouteille, ce qui me perturbe beaucoup 😛
Bon, je pense que je boirais quelque chose de plus fort malgré tout dans de pareilles circonstances… Brrrr, quelle chute, c’est le cas de le dire !
Clairement moi aussi, hein… Mais pour Mira ça doit forcément être du Perrier en hommage à leur délire 🙂
Merci Stephie !
J’adore la déclinaison des verts, qui m’a tout de suite fait penser à un tendre dialogue d’amoureuses.
La fin m’a glacée. Et de ce contraste violent naissent les émotions. Bravo !
Merci Adèle! 🙂
Ouh là là ce toit qui tombe… terrible image… J’aime le récit de cette amitié qui se tisse au fil des rencontres autour d’une piscine… quel dommage de ne jamais réussir à exprimer ses sentiments.
C’était trop compliqué pour elles, ça aurait impliqué trop de chamboulements… Mais elles auraient dû !
Merci Antigone 🙂
Super contente de te lire cette semaine malgré la noirceur de ta chute ! une belle réussite ce texte sur cette amitié presque trouble… Bravo !
Merci Nady 🙂
Oh la fin est si triste 🙁
Un joli texte qui nous prouve qu’il ne faut pas attendre pour mettre à nu nos sentiments
On prend un risque quand on attend trop, oui.
Merci L’ivresse 🙂
J’aime ton texte , je le trouve beau et bien fait, net, sans pathos, et il s’en dégage un mélange de tendresse infinie et de douleur pudique….Je suis persuadée de la similitude d’intensité entre les sentiments amoureux et les sentiments d’amitié….Ils exaltent et font souffrir de la même façon….Alors oui la difference se situe sur le passage à l’acte sexuel, l’idée de ce passage qui rôde dans tes mots mais ne sera jamais franchi….Oui j’ai vraiment beaucoup aimé….
Oh merci beaucoup, Bénédicte 🙂
Et je suis d’accord, certaines amitiés peuvent être aussi intenses qu’une relation amoureuse au niveau des sentiments.
Ah ! Quelle claque ! Tout en légèreté, douceur, insouciance même et soudain le drame, la souffrance, les regrets. Les sentiments sont décrits avec pudeur et justesse. C’est triste mais que c’est beau !
Grand merci, Jos 🙂